Librairie Le Feu Follet - Paris - +33 (0)1 56 08 08 85 - Nous contacter - 31 Rue Henri Barbusse, 75005 Paris

Livres anciens - Bibliophilie - Œuvres d'art


Vente - Expertise - Achat
Les Partenaires du feu follet Ilab : International League of Antiquarian Booksellers SLAM : Syndicat national de la Librairie Ancienne et Moderne






   Edition originale
   Autographe
   Idée cadeaux
+ de critères

Rechercher parmi 31428 livres rares :
éditions originales, livres anciens de l'incunable au XVIIIè, livres modernes

Recherche avancée
Inscription

Recevoir notre catalogue

Rubriques

Les Enquetes
Catalogues
La Lettre du Feu Follet
Echos
Portfolio
Termes et concepts de la bibliophilie
Focus
Contributions
L'enigme
Nouveautes
A la librairie
Evenements
Editorial
Essais bibliographiques
Illustrateurs Gazette du Bon Ton

Focus

Marc Trivier, Photographies

Marc Trivier, PhotographiesMarc Trivier, Photographies

Autoportrait, Marc Trivier, 1981, 22x22
 


Marc Trivier nait en Belgique en 1960. Il commence par photographier ses proches. Alors qu’il n’est âgé que de vingt ans, il décide de photographier les artistes et penseurs influents des années 1980 et rencontre alors Genet, Warhol, Foucault, Van Velde, Dubuffet, Sarraute, Beckett… Parallèlement, il s’intéresse aux marges de la société, ce que les hommes ne veulent pas voir. Il photographie les aliénés et les abattoirs. Dès la fin des années 1980 son œuvre est unanimement reconnue et il reçoit le prestigieux Young Photographer Award de L’international Center of Photography en 1988 ainsi que le Prix Photographie Ouverte (Charleroi). Après le Palais de Tokyo à Paris et le musée de l'Elysée à Lausanne, le Casino à Luxembourg, la Maison Européenne de la photographie à Paris lui consacre une importante rétrospective en 2011.

Malgré un succès international précoce, ce célèbre photographe belge, un des artistes contemporains les plus secrets, a préféré limiter sa production pour conserver la cohérence de son œuvre. Marc Trivier ne tire pas de nouveaux exemplaires de ses anciens portraits, le papier de tirage qu’il utilisait n’est d’ailleurs plus commercialisé.  L’artiste « réalise lui-même ses tirages sur papier baryté Ilford, consacrant plusieurs jours de travail à chacun, avec une concentration particulière pour rendre les blancs, par contraste avec des noirs d’une rare densité. Un tirage de Marc Trivier ne ressemble à aucun autre. Lorsqu’il accepte de les exposer, il les suspend dans des cadres en inox de sa fabrication, laissant libre cours à la vie du papier. » (Xavier-Gilles, « Marc Trivier et la tragédie de la lumière » in Le Monde Libertaire, 2011). Cette « vie du papier » participe de l’œuvre au même titre que les diverses altérations que subissent les photographies lorsqu’elles sont exposées : « Dans les boites, les tirages gondolent, mais qu’importe : le photographe affectionne ce genre d’accident. » (Claire Guillot, « Les face à face sans échappatoire du photographe Marc Trivier », Le Monde, 2011). Marc Trivier a une sensibilité particulière pour l’aspect matériel de ses productions. Alors que la photographie relève par essence du multiple, cette intervention de l’artiste dans tout le processus de création confère une aura autographique à ces tirages.
  
 

Marc Trivier aborde tous ces sujets avec un regard aussi précis qu’intense.

« Dans sa cosmogonie, chaque chose, chaque être, végétal, animal ou humain, mérite le même respect. Car tous sont confrontés à la même loi d'airain : la solitude. » (Luc Desbenoit).

La beauté qui émane de ses photos vient de cette nudité. Il n’y a ni retouches, ni recadrages. On retrouve dans son œuvre le même format carré souligné par le carré du négatif que Trivier laisse sur ses tirages. Ce cadre piège notre regard dans des photographies où le fard de la couleur est rejeté pour un noir et blanc incisif. Toute artificialité ayant disparu nous ne faisons pas face à la mise en scène d’un sujet mais à une présence exacerbée par la lumière irradiante et singulière, témoin d’un instant de vie et non de pose. C’est cette lumière, liée au médium photographique, qui unit les séries de Marc Trivier :
 

« Les photographies de Marc Trivier écrivent une tragédie de la lumière, celle-ci n’accueillant les êtres – hommes, arbres ou bêtes – qu’en les brûlant, avant disparition. » (Xavier-Gilles in Le Monde Libertaire).


C’est aussi elle, délivrée de tous les artifices, qui donne à ses œuvres l’aura qui les rend si présentes. Cette « brûlure » de la lumière nous renvoie à un instant réel, au « ça a été » de Barthes (La Chambre Claire, 1980) : 
 

« De trente-cinq ans de pratique photographique, d’obsessions, c’est peut-être ça qui reste : un mode d’enregistrement singulier de la brûlure de la lumière, décliné d’une image à l’autre, en une succession de propositions qui se ressemblent et pourtant chacune est aussi singulière que la fraction de temps auquel elle renvoie. » (Marc Trivier).

« La photographie ne dit qu'une chose : « C'était. » On ne fixe que ce qui a été. S'il y a une tragédie, elle est là. » (Marc Trivier)




Jean Dubuffet, Marc Trivier, 1983, 60x50 (détail)


Les photographie des grandes personnalités de son époque que Marc Trivier réalise ne cherchent pas à montrer l’image publique de ces artistes. Prises de face, avec un regard dirigé vers l’objectif, elles nous montrent une image d’intimité :

« (…) au lieu d’être un portraitiste d’écrivains et d’artistes parmi tant d’autres, il se marginalise par son dispositif : sous prétexte de réglages, il fait attendre ses modèles, il les fait poser plusieurs minutes ce qui leur donne un air las. Il attend peut-être un comportement plus naturel. Et on se retrouve face à Francis Bacon en équilibre précaire, Samuel Beckett, Jean Dubuffet ou encore Michel Foucault plus ou moins tassés sur leur chaise. Des images intimes. » (Sylvie Rousselle-Tellier, « Une image de fatigue chez Marc Trivier », Marges 2004).

 
Photographiés dans leur univers personnel, la plupart du temps leur chambre, les sujets s'abandonnent, ne maitrisent plus leur image. Le déséquilibre qui en résulte révèle les fragilités de ces personnalités si fortes, et permet à Trivier de restituer l'unité du corps intime et de l'œuvre publique.
« Je lisais Genet ; pour moi Genet, c’était des lettres sur un livre. Et puis un jour j’ai vu son portrait, il y a eu comme une fracture. Comment était-il possible que ces signes soient aussi quelqu’un ? Faire un portrait, c’est ressouder le nom et le visage. » (Marc Trivier).

Plus qu’un portrait, chaque photo est le témoignage d’un échange entre le sujet et l’artiste, d’un instant de vie réelle. La présence du photographe est sensible dans chacun des portraits que réalise Trivier :

« Ce qui m’intéressait, ce n’était pas de photographier simplement un corps ou un visage, mais cette situation particulière qui est quelqu’un en train de faire la photo de quelqu’un d’autre. » (Marc Trivier). 

   
 
Les photographies des aliénés que Trivier réalise à la même période étaient volontairement mélées à celles des artistes lors de la rétrospective parisienne de 2011. Loin d'une tentative d'opposer la folie et le génie, cette mise en regard fut au contraire l'occasion d'un questionnement de notre regard sur ces deux pôles fantasmatiques de la personne humaine.
Alors que les photographies des médecins comme celles de Charcot au XIXème siècle insistent sur la maladie des patients et les font poser de manière à rendre visibles leurs symptômes, celles que prend Trivier ne cherchent pas à faire du fou un simple témoin d'une pathologie, ni même un "autre", quelqu'un qui se caractériserait par sa différence. Comme avec sa série sur les artistes, Marc Trivier sort du système de la pose qui est un artifice pour atteindre l'humanité de ses sujets. Ces hommes ont un regard puissant et une présence forte qui contredit leur anonymat.
A l'instar des artistes, dont ils semblent partager le mystère, les "fous" interrogent notre propre présence. 

 

Michel, Marc Trivier, 1987, 22x22 (détail)

 
La série consacrée aux abattoirs pourrait sembler éloignée des autres œuvres de Trivier. Cependant, comme les aliénés, les abattoirs font partie de ces images honteuses d'une marginalité que l'on ne veut pas voir. C'est un lieu rejeté hors de la ville, loin des regards, loin des hommes. Il n'y a d'ailleurs presque jamais d'hommes dans ces photographies.
Contrairement au film de Franju, Le Sang des bêtes, en 1949, Trivier ne s'intéresse pas au geste du travail dans les abattoirs. Il les capture vides, peuplés de cadavres ou d'animaux aveuglés avant d'être conduits à la mort. Le photographe s'inspire de la peinture de Bacon, qu'il a d'ailleurs pris en photo en 1981, et du rapport de ce dernier au corps. On retrouve toute la pitié du peintre anglais pour la viande et les animaux dans la série de Trivier.

« J'ai toujours été très touché par les images relatives aux abattoirs et à la viande, et pour moi elles sont liées étroitement à tout ce qu'est la Crucifixion... C'est sûr, nous sommes de la viande, nous sommes des carcasses en puissance. Si je vais chez un boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place de l'animal... » (Francis Bacon in Francis Bacon. Logique de la sensation , par Gilles Deleuze).


Ses photos nous montrent les bêtes en martyrs comme Marsyas ou Saint Pierre. Trivier dévoile la tragédie du corps dépossédé de la présence, photographiant des animaux aveugles, morts, dépecés et vidé de leurs entrailles que le noir et blanc change en marbre. Mais c'est toujours l'homme qui se reflète dans ces portraits de chairs sans âmes, un homme qui, à travers le miroir argentique de Marc Trivier, se projete dans cette chair aveugle, et traverse un instant l'infime espace du regard qui les sépare.

« Les vaches régulièrement photographiées par Marc Trivier à l'abattoir d'Anderlecht manifestent la même essence que ses visages humains.» (Henri Van Lier « Le timbre photonique, Robert Frank et Marc Trivier », in les cahiers de la photographie 1992)


 

Viande, Marc Trivier, 1980, 22x22cm
 
 

Les photographies de Marc Trivier sont rares, à tel point que Xavier Gilles décrit leur rassemblement à la Maison Européenne de la Photographie pour la rétrospective de 2011 comme relevant du "miracle". Il a su unifier par une lumière irradiante les figures publiques et un monde invisible qu'il dévoile à la vue de tous, il plonge ces deux sphères dans la même "tragédie de la lumière" (Xavier Gilles).
 
 

Voir l'ensemble des expositions de Marc Trivier
 
 


SOURCES 

Sylvie Rousselle-Tellier, « Une image de fatigue chez Marc Trivier », Marges [En ligne], 02 | 2004, mis en ligne le 15 avril 2005, consulté le 28 décembre 2017. URL : http://journals.openedition.org/marges/795 ; DOI : 10.4000/marges.795
JOURNAUX
Article Le Monde « Le Face à face sans échappatoire du photographe Marc Trivier » extrait de Le Monde, 18 février 2011, disponible en ligne (http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/02/18/les-face-a-face-sans-echappatoire-du-photographe-marc-trivier_1482096_3246.html).
Luc Desbenoit in Télérama, le 05/03/2011 à l'occasion de la rétrospective Marc Trivier à la Maison Européenne de la Photographie
LIVRES
Marc Trivier, Photographies, coédition du Centre Régional de la photographie du Nord Pas de Calais et du Musée de l’Elysée de Lausanne, 1988
Henri Van Lier, "Le timbre photonique, Robert Frank et Marc Trivier" in Les cahiers de la photographie, 1992, disponible en ligne (http://www.anthropogenie.com/anthropogenie_locale/phylogenese/hpp_frank.htm)
Xavier Gilles, "Marc Trivier et la tragédie de la lumière", in Le Monde Libertaire, 2011, disponible en ligne (http://monde-libertaire.net/?page=archives&numarchive=14373)
GIOVANNONI, Jean-Louis, TRIVIER, Marc, L’Election, Editions Didier Devillez, Bruxelles, 1994
Corinne Maury dans « Les écrans de la mort - l’abattoir au cinéma » in Les Images Honteuses, Champ Vallon 2006
Deleuze La logique de la sensation, la peinture de Bacon
 
Laisser un commentaire
  Assistance en ligne