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Robert ANTELME L'Espèce humaine

Robert ANTELME

L'Espèce humaine

Robert Marin, Paris 1947, 14,5x19,5cm, broché.


Édition originale, dont il n'a pas été tiré de grands papiers, exemplaire sous couverture de remise en vente chez Robert Marin, avec l'étiquette du nouvel éditeur contrecollée en pied de la page de titre.
Petites rousseurs sur le premier plat.
 
Émouvant et très rare envoi autographe signé de Robert Antelme à Gaston Riby, compagnon d'infortune, auquel il consacre un long chapitre de son ouvrage : « Pour Gaston Riby pour le souvenir de notre même expérience, en souvenir de l'action jamais désespérée qu'il a menée parmi nous, en toute fraternité, affectueusement. Robert Antelme. »
 
Gaston Riby est en effet un des acteurs importants du récit-témoignage de Robert Antelme. Il est un des seuls détenus dont il révèle le nom complet, les autres étant désignés par des prénoms, surnoms ou simples initiales, (Marguerite Duras, sa femme, n'est elle-même évoquée que par un suggestif « M... ») Le chapitre qu'il lui consacre, au deux tiers de l'ouvrage, ne concerne plus la dénonciation de l'horreur des camps, mais la possibilité d'une résistance intellectuelle, une survie de l'esprit contre la destruction des corps et la tentative de déshumanisation. Antelme rend ainsi un superbe hommage aux « séances récréatives » inventées par Riby à Gandersheim :
 
« Gaston Riby était un homme qui approchait de la trentaine. C'était un professeur. Il avait une figure massive avec des mâchoires larges. Il était passé lui aussi par le zaun-kommando puis par l'usine.
à ce moment-là, il travaillait avec quelques autres dans ce qu'ils appelaient la mine. C'était un tunnel-abri que les S. S. faisaient creuser dans la colline au pied de laquelle se trouvait leur baraque. Les types de la mine revenaient chaque soir couverts de terre et épuisés. Malgré les coups que nous pouvions recevoir au transport-kolonne, nous n'avions pas la même tête qu'eux. Nous pouvions essayer de parer les coups, chercher la planque dans l'usine pour une heure ou deux. Eux étaient dans le tunnel et devaient extraire la terre du matin au soir avec le morceau de pain du matin dans le ventre. Quand Gaston rentrait au block, souvent il avait à peine la force de boire sa soupe et aussitôt il allait s'étendre sur la paillasse et ses yeux se fermaient. Pourtant, la bête de somme qu'ils en avaient fait, ils n'avaient pas pu l'empêcher de penser en piochant dans la colline, ni de parler lourdement avec des mots qui restaient longtemps dans les oreilles.
Il n'était pas seul dans le tunnel ; il y en avait d'autres qui piochaient à côté de lui et qui charriaient la terre et qui, comme lui, le matin, avaient quand même un peu plus de force que le soir. Le contremaître civil pouvait promener dans le tunnel sa capote de futur Volksturm et sa petite moustache noire et gueuler et pousser le travail, il ne pouvait pas empêcher les mots de passer d'un homme à l'autre.
Peu de mots, d'ailleurs ; ce n'était pas une conversation que ces hommes tenaient, parce que c'était trop fatiguant de tenir une véritable conversation. Il fallait faire tenir ce qu'on avait à dire en peu de mots.
Gaston devait dire ceci : – Dimanche, il faudra faire quelque chose, on ne peut pas rester comme ça. Il faut sortir de la faim. Il faut parler aux types. Il y en a qui dégringolent, qui s'abandonnent, ils se laissent crever. Il y en a même qui ont oublié pour quoi ils sont là. Il faut parler.
Ça se passait dans le tunnel, et ça se disait de bête de somme à bête de somme. Ainsi, un langage se tramait, qui n'était plus celui de l'injure ou de l'éructation du ventre, qui n'était pas non plus les aboiements des chiens autour du baquet de rab. Celui-là creusait une distance entre l'homme et la terre boueuse et jaune, le faisait distinct, non plus enfoui en elle mais maître d'elle, maître aussi de s'arracher à la poche vide du ventre. Au cœur de la mine, dans le corps courbé, dans la tête défigurée, le monde s'ouvrait. [...] » (Antelme, L'Espèce humaine, p. 287)
 
Gaston Riby réapparaît dans le chapitre « La route » relatant la longue marche forcée pour fuir l'avancée des Alliés. Mais il est happé dans le chaos des morts d'épuisement, des assassinats et des tentatives d'évasions qui réduisirent les 450 déportés à 150 survivants, durant les 10 jours de marche et de wagons à bestiaux qui les menèrent de Gandersheim à Dachau : « Il va faire nuit, je marche à côté de Jo et Gaston qui a mal au ventre. Depuis ce matin, il ne parle que par courtes phrases, informes, comme dans un coma. Il me passe son sac, et il s'arrête sur le bord de la route. Nous marchons longtemps. Gaston ne revient pas. » Don du précieux sac, unique source de survie, perte de la parole, seule voie de résistance, et abandon des amis et de la marche, signifiant condamnation au meurtre par le Kapo Fritz, la disparition solitaire du seul être qui fut capable de recréer une communauté résiliente au sein du camp, constitue une des dernières étapes de l'entreprise de déshumanisation avant la tragédie du père espagnol et de son fils.
La « résurrection » de Gaston Riby révélée par cette dédicace historique, proclame la victoire de l'« indestructible» humanité au delà de la temporalité de récit et de la simple fin de la souffrance qui le conclut. En adressant son récit à celui qui en partagea l'expérience absolue, Antelme transforme sa tentative de partage d'une épreuve « inimaginable », (« C'est le mot le plus commode. […], le mot du vide »), en véritable « témoignage de reconnaissance ».
 
« Il n'y a pas d'espèces humaines, il y a une espèce humaine. C'est parce que nous sommes des hommes comme eux que les S.S. seront en définitive impuissants devant nous. »
 
Cet ouvrage fondamental sur l'expérience des camps nazis fut la troisième et dernière publication de l'éphémère maison d'édition fondée par Marguerite Duras et Robert Antelme, son mari de 1940 à 1946.
Passé inaperçu lors d'une première parution confidentielle, seuls quelques exemplaires furent vendus, il fut remis en vente l'année suivante sous de nouvelles couvertures par Robert Marin. L'ouvrage souffrira de la concurrence des nombreux écrits sur le sujet parus immédiatement après-guerre. Pourtant, comme le relate F. Lebelley, « à une époque où les récits abondent, la puissance particulière de ce livre-là, d'une sobriété première, bouleverse tel un texte fondateur. Livre d'écrivain aussi qui a pris, reconnaît Duras, 'le large de la littérature'. Robert Antelme n'en écrira jamais d'autre. Malgré les éloges et les honneurs, L'Espèce humaine restera l'œuvre unique d'une vie » (in Duras, ou le Poids d'une plume).
 
Grâce à l'intervention d'Albert Camus, l'ouvrage reparaît dix ans plus tard, en 1957, chez Gallimard et connaît alors une diffusion plus large.
 
Dès lors, ce livre s'inscrit dans l'histoire littéraire comme un des plus importants écrits affrontant la douloureuse mais nécessaire réflexion sur les camps de concentration et la condition humaine. C'est à sa suite que des écrivains tel que son ami Jorge Semprun pourront commencer une nouvelle approche de l'impossible écriture des camps.
 
Dès 1947, Antelme annonçait dans son avant-propos « nous revenions juste, nous ramenions avec nous notre mémoire, notre expérience toute vivante et nous éprouvions un désir frénétique de la dire telle quelle. Et, dès les premiers jours cependant, il nous paraissait impossible de combler la distance que nous découvrions entre le langage dont nous disposions et cette expérience. [...] Comment nous résigner à ne pas tenter d'expliquer comment nous en étions venus là ? Nous y étions encore. Et cependant c'était impossible. À peine commencions-nous à raconter, que nous suffoquions. à nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable. »
 
Unique exemplaire de cette œuvre précoce et fondamentale sur la spécificité des camps de concentration, offert par Antelme à l'un de ses compagnons de déportation, figure centrale de la résistance intellectuelle à l'intérieur du camp et à laquelle Antelme rend hommage.
 
C'est cette expérience de déshumanisation et la capacité de résilience dont témoigne notamment Gaston Riby qui fera écrire à Maurice Blanchot : « Je crois que le livre de Robert Antelme nous aide à avancer dans ce savoir. Mais il faut bien comprendre ce qu'une telle connaissance a de lourd. Que l'homme puisse être détruit, cela n'est certes pas rassurant ; mais que, malgré cela et à cause de cela, en ce mouvement même, l'homme reste l'indestructible, voilà qui est vraiment accablant, parce que nous n'avons plus aucune chance de nous voir jamais débarrassés de nous, ni de notre responsabilité. »
 

Bibliographie lacunaire des éditions La Cité universelle
Lire notre article dans la Gazette d'Edition-Originale
Ecrire et philosopher après Auschwitz : Blanchot lecteur de Antelme
Article Robert Antelme In Larousse.fr

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Réf : 71783

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