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Luis BUNUEL Agón o El canto del cisne. Tapuscrit du Scénario original inédit de Luis Buñuel comportant des corrections manuscrites de Jean-Claude Carrière

Luis BUNUEL

Agón o El canto del cisne. Tapuscrit du Scénario original inédit de Luis Buñuel comportant des corrections manuscrites de Jean-Claude Carrière

S.n., s.l. 1980, 21x29,5cm, relié.


Dernier scénario tapuscrit de Luis Buñuel, resté inédit.
Reliure en demi basane marbrée, dos à quatre fins nerfs, plats de cartonnage caramel, reliure réalisée à la demande de Luis Buñuel.
Tapuscrit original inédit du scénario de Luis Buñuel, constitué de 109 feuillets abondamment raturés et corrigés par Jean-Claude Carrière, collaborateur du cinéaste pendant près de vingt ans, et de 2 feuillets entièrement rédigés de la main du même.
Onze feuillets ont été reliés en tête, il s'agit d'extraits du texte autobiographique Pesimismo (1980) de Luis Buñuel.
Ce scénario, totalement inédit, a été rédigé en français ; la seule version connue est une traduction en espagnol, publiée en 1995 qui a été réalisée à partir d'une copie postérieure aux corrections et ajouts de ce tapuscrit.
Ce tapuscrit ne présente pas de page de titre. En effet, Buñuel et Carrière envisagèrent plusieurs titres : El Canto del cisne (Le Chant du cygne), Haz la guerra y no el amor (Faites la guerre pas l'amour), Una ceremonia secreta (Une cérémonie secrète), Guerra si: amor, tampoco (Guerre, oui : amour, non plus) ou encore Una ceremonia suntuosa (Une cérémonie somptueuse, en hommage à André Breton). Le titre final sera cependant Agón, comme l'explique Buñuel dans un entretien avec José de la Colina : « J'ai été en Normandie pour écrire avec Carrière le scénario d'un film dont on ne sait pas encore comment il s'appellera. Nous avons envisagé quelques titres. Par exemple, Agón, c'est-à-dire : l'Agonie, dont la signification originale est le combat. Le thème de notre intrigue se trouve être la bataille entre la vie et la mort, comme dans notre “Agonie” espagnole. C'est mon titre le plus court, c'est pourquoi je l'aime. Mais ce pourrait être aussi Le Chant du cygne, qui aurait un sens ambivalent : la fin de la civilisation occidentale et le dernier film de Luis Buñuel... » (« Agón o El Canto del cisne según Luis Buñuel » in Contracampo, nº 1, 1979)
C'est ce dernier titre qui a été choisi pour la reliure du tapuscrit que nous proposons.
Malgré les longues réflexions concernant le titre du film et l'aboutissement du tapuscrit, le projet fut tué dans l'œuf. Buñuel et Carrière avaient pour habitude de s'isoler plusieurs mois durant dans un petit hôtel de San José de Purúa (Mexique) pour achever leurs scénarios. À leur arrivée au mois d'août 1978, les chambres monacales dans lesquelles ils avaient coutume de séjourner avaient changé et, au grand dam de Buñuel, le bar n'existait plus. Dans ses souvenirs, Buñuel se plait à justifier l'abandon du projet par cette disparition : « Notre époque dévastatrice, qui détruit tout, n'épargne même pas les bars. » (Luis Buñuel, Mon dernier soupir, 1982)
C'est justement une histoire ancrée dans cette « époque dévastatrice » voire pré-apocalyptique, que déroule le scénario, dénonçant une triple complicité : science, terrorisme et information, alliance macabre selon Buñuel. Il imagine une histoire complexe, mettant en scène un groupe de terroristes internationaux se préparant à commettre un grave attentat en France.
Finalement, on apprend qu'une bombe atomique vient d'exploser à Jérusalem. La guerre mondiale est imminente et la mobilisation générale est décrétée. Le chef de la bande de terroristes renonce à son projet et informe les autorités du lieu exact où ils peuvent récupérer la bombe avant qu'elle n'explose : une péniche postée à côté du Louvre. Les terroristes renoncent ainsi à leur projet devenu superflu, puisque les gouvernements vont se charger eux-mêmes de la destruction du monde, sur fond d'omniprésence des médias et de l'information.
Si la trame narrative fait étrangement écho à des préoccupations actuelles, elle s'inscrit au sein de la réflexion artistique et sociétale qui traverse toute l'œuvre de Buñuel : « Je suis passionné par le terrorisme, qui est déjà universel et pratiqué comme un sport. Il semblerait que ce soit maintenant une tentation de la part de quelqu'un qui est jeune et qui a un peu envie d'agir : c'est un dandysme de notre temps. [...] C'est une tentation très stimulée par les médias, un moyen de devenir célèbre. Quiconque est jeune et a une arme à feu ou une mitraillette, s'empare d'un avion et fait trembler quelques nations et l'attention du monde est conquise, il devient un divo. » (José de la Colina, art. cité)
Cette fascination pour le terrorisme prend son origine dans l'idéologie surréaliste qui marque les débuts artistiques de Buñuel, comme il le rappelle lui-même « On ne peut échapper aux phrases de notre jeunesse, à ce que disait Breton par exemple : “Le geste surréaliste le plus simple consiste à sortir dans la rue, revolver au poing, et à tirer au hasard dans la foule.” Pour ma part, je n'oublie pas avoir écrit qu'Un chien andalou n'était pas autre chose qu'un appel au meurtre. » (Luis Buñuel, op. cit.) Jean-Claude Carrière souligne d'ailleurs, évoquant le synopsis d'Agón, cette composante surréaliste essentielle et omniprésente du cinéma buñuelien : « Ce n'était pas un film totalement réaliste. [...] Nous retrouvions la haine de Buñuel pour l'art officiel, le “Merde à l'art”. Il affirmait qu'il était prêt à brûler tous ses films s'il le fallait, en un grand sacrifice culturel. » (Jean-Claude Carrière, L'Esprit libre. Entretiens avec Bernard Cohn, 2011)
Destruction de l'esthétique et esthétique de la destruction, pour Buñuel le leitmotiv dadaïste et surréaliste trouve un écho troublant dans la violence terroriste qui marque le xxème siècle.
Buñuel envisage même une forme de responsabilité du surréalisme sur ce qu'il considère comme un langage moderne.
Si, avant cet ultime scénario, Buñuel n'a jamais affronté directement cette question complexe du terrorisme, il a cependant introduit dans chacun de ses films un personnage ou une situation évoquant cette forme de violence. Ainsi, dans son dernier film, Cet obscur objet du désir (1977), l'allusion au terrorisme est explicite, comme le souligne Manuel Rodriguez Blanco : « Dernier clin d'œil dans sa dernière séquence : le couple improbable se promène dans un passage [...] Il s'éloigne et une bombe éclate. Clin d'œil pour le passage [...] mais aussi évocation d'une obsession personnelle, le terrorisme. » (Manuel Rodriguez Blanco, Luis Buñuel, 2000) Tragique prémonition, une bombe bien réelle explosera le 19 octobre 1977 dans le Ridgetheatre de San Francisco qui projetait le film.
à la fois enthousiasmante démesure esthétique et insupportable menace prosaïque, le terrorisme traverse l'œuvre mais aussi la vie du cinéaste.
Ainsi, évoque-t-il dans ses mémoires, cette visite à son bureau de la rue de la Pépinière d'un jeune fasciste repenti venu lui révéler, bombes à l'appui, la préparation d'un attentat d'envergure. Le cinéaste raconte comment, malgré ses avertissements aux autorités françaises et espagnoles, il ne put empêcher la concrétisation de l'attentat prévu.
Cet événement fut le début pour Buñuel d'une réflexion intense sur la complexité matricielle du terrorisme qu'il envisage comme une réappropriation du langage surréaliste perverti par la science, la politique et les médias.
à la fois négation et conséquence d'une société autodestructrice, le terrorisme, chez Buñuel, n'est pas un moyen, mais un geste destructeur en soi, dénué de tout prétexte politique ou idéologique.
Summum de l'absurde et du nihilisme, les terroristes d'Agón sont ainsi pris de court par la société qui les prive de leur rébellion en accomplissant elle-même son Armageddon.
Car, en toile de fond de ce terrorisme entomologique fomenté par de frêles criminels, Buñuel dresse le portrait d'une société qui organise sa propre destruction, aveuglée par la science et les médias : « Une chose est désormais certaine : la science est l'ennemie de l'homme. Elle flatte en nous l'instinct de toute-puissance qui conduit à notre destruction. » (Luis Buñuel, op. cit.)
L'omniprésence médiatique joue quant à elle un rôle catalyseur, la télévision se faisant le cynique porte-parole des gouvernements et des scientifiques. Buñuel exprime d'ailleurs cette aversion dans ses mémoires : «Je déteste la prolifération de l'information. La lecture d'un journal est la chose la plus angoissante du monde. [...] L'information-spectacle est une honte. [...] En outre, une nouvelle chasse l'autre.» (Luis Buñuel, op. cit.)
Le personnage du journaliste d'Agòn approuve ainsi les propos du premier ministre qui affirme que la situation sur terre est idéale alors que défilent sous les yeux du spectateur des images montrant la destruction de la planète (disparition de la forêt, tests sur les animaux de laboratoire, hyper-industrialisation...). Buñuel établit un lien direct entre le progrès technologique et scientifique et le drame écologique irréversible et imminent de notre époque moderne.
Ecrit en 1978, ce chant du cygne d'un réalisateur ayant traversé le siècle et les continents se révèle d'une acuité et d'une préscience étonnante sur quelques-unes des préoccupations majeures du xxième siècle: le terrorisme, l'écologie, l'escalade technologique et les dérives des médias.
« Seul et vieux, je ne peux imaginer que la catastrophe ou le chaos. L'un ou l'autre me semble inévitable. [...] Je sais aussi que vers la fin de chaque millénaire il est d'usage d'annoncer la fin. Il me semble pourtant que le siècle tout entier conduit au malheur. Le mal a gagné la vieille et haute lutte. Les forces de destruction et de dislocation l'ont emporté. L'esprit de l'homme n'a fait aucun progrès vers la clarté. Peut-être même a-t-il régressé. Faiblesse, terreur et morbidité nous entourent. D'où surgiront les trésors de bonté et d'intelligence qui pourraient un jour nous sauver ? Même le hasard nous semble impuissant. » (Luis Buñuel, op. cit.)
Cette œuvre capitale, apothéose de toutes les préoccupations du cinéaste et diatribe sans appel contre une société vouée à l'apocalypse, fut paradoxalement condamnée elle-même par Buñuel à demeurer inédite.
Ainsi ce scénario au titre indéfini est bien la Ceremonia secreta d'un cinéaste qui, au crépuscule de sa vie, répète le geste fondateur de son œuvre cinématographique : à l'instar du Chien andalou, Agón est une violente et absurde destruction du regard.
 

VENDU

Réf : 61100

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