Albert CAMUS
Lettre autographe signée à Maurice Noël à propos de la création "L'état de siège" au théâtre Marigny
Paris s.d. (octobre 1948), 21x13,5cm, une feuille.
Lettre autographe signée d'Albert Camus, écrite sur 12 lignes à l'encre bleue, à en-tête du théâtre Marigny, adressée à Maurice Noël, directeur du Figaro Littéraire, relative aux problèmes philosophiques que génère la création de sa pièce l'Etat de siège au théâtre Marigny le 27 octobre 1948.
Cette courte missive soulève un point très important de la création camusienne. A l'opposé du théâtre argumentatif et intellectuel de Sartre, Camus accorde une importance capitale aux effets dramatiques et à l'inattendu. Ce désir de «
conserver à la pièce ses effets de surprise » sera une des causes de la mauvaise réception de l'œuvre par la critique qui croyait, et sans doute désirait, assister à une simple adaptation du roman La Peste. Ainsi l'article de Roger Lannes restera-t-il un des rares compte rendu laudatif de l'œuvre la plus personnelle de Camus.
Dans sa préface de l'édition américaine de 1958, Camus reviendra sur cet échec :
«
L'État de siège, lors de sa création à Paris, a obtenu sans effort l'unanimité de la critique. Certainement, il y a peu de pièces qui aient bénéficié d'un éreintement aussi complet. Ce résultat est d'autant plus regrettable que je n'ai jamais cessé de considérer que l'
État de siège, avec tous ses défauts, est peut-être celui de mes écrits qui me ressemble le plus. (…) Mon but avoué était d'arracher le théâtre aux spéculations psychologiques et de faire retentir sur nos scènes murmurantes les grands cris qui courbent ou libèrent aujourd'hui des foules d'hommes. »
Cette lettre à Maurice Noël, imprégnée de modestie et de respect pour l'indépendance du journalisme, si chère à Camus, révèle pourtant en filigrane un enjeu fondamental de son œuvre : susciter l'étonnement pour conduire le spectateur à poser sur le monde un regard neuf, affranchi des présupposés, un regard d'étranger.
Très bel état.
"Cher Monsieur,
C'est Roger Lannes qui m'a gentiment proposé de m'envoyer son texte. J'ai accepté, non par suspicion, mais parce que Jean-Louis Barrault et moi-même désirions conserver à la pièce ses effets de surprise. Par exemple, il est vrai que la pièce vise le système totalitaire. Et pourtant nous aurions préféré qu'on n'en parlât point. Mais vous ferez ce que vous voudrez.
Voulez-vous remercier Roger Lannes de sa discrétion et de son remarquable article et me croire, cher monsieur, votre toujours dévoué
Albert Camus."