Lettre autographe de Victor Segalen adressée à Emile Mignard. Quatre pages rédigées à l'encre noire sur un double feuillet de papier bleu. Pliures transversales inhérentes à l'envoi.
Emile Mignard (1878-1966), lui aussi médecin et brestois, fut l'un des plus proches amis de jeunesse de Segalen qu'il rencontra au collège des Jésuites Notre-Dame-de-Bon-Secours, à Brest. L'écrivain entretint avec ce camarade une correspondance foisonnante et très suivie dans laquelle il décrivit avec humour et intimité son quotidien aux quatre coins du globe. C'est au mariage de Mignard, le 15 février 1905, que Segalen fit la connaissance de son épouse, Yvonne Hébert.
Segalen revient d'un séjour à Nouméa et se réjouit d'être de retour en terres tahitiennes : « Enfin nous n'en avons que d'avantage dégusté, une fois de plus, la beauté verte de Tahiti. Nous sommes, il est vrai, menacés d'un second voyage à Nouméa ; mais cela est lointain, la lumière est rieuse, le pays plus accueillant. Evohe ! » Ce voyage en Nouvelle Calédonie lui a permit de songer à son œuvre à venir, Les Immémoriaux, qui paraîtra en 1907 au Mercure de France sous le pseudonyme de Max-Anély (Max en hommage à Max Prat et Anély, l'un des prénoms de sa femme), Segalen n'étant pas autorisé, en sa qualité de médecin militaire, à signer une œuvre fictionnelle de son patronyme. Dans une lettre du 3 mai 1903, il annonçait déjà à Mignard sa volonté de se concentrer intensément sur ce travail à son retour à Tahiti : « Pendant mes quinze jours de mer je vais avancer ma documentation pour pouvoir dès mon arrivée à Tahiti me mettre à l'ouvrage. Je liquide ma femme comme trop absorbante et pas assez maorie : j'ai changé de case et je vais loger face au récif. » Si l'on ne sait pas ce qu'il est advenu de l'épouse, Segalen confirme ici son déménagement : « J'ai déménagé. Mon « faré api », ou nouvelle demeure, se situe en face du récif, à 3 m de l'eau, en face Moorea. » Ces nouvelles conditions de vie ne semblent cependant pas propices au travail (« J'ai mon sujet, de l'entrain [...] et pourtant mon « Promeneur de nuit » [première idée de titre pour Les Immémoriaux] pérégrine bien lentement. ») Plus que l'écriture, c'est son activité professionnelle qui accapare l'agenda du docteur Segalen : « Et en effet, de 1 h à 4 h défilent chez moi tous les jours pas mal de gens qui me constitueraient une clientèle fixe si la Durance n'était pas si vagabonde. Une réclame suffisante est d'être officiellement appelé à soigner le gouverneur et sa famille. J'ai réussi à améliorer le grêle intestin du « premier magistrat » de la colonie, à retaper l'estomac d'un marmot gouvernemental. Ça « pose » en cette très petite ville de province bourgeoise qu'est Papeete. » Lors de son immobilisation de deux mois à San Francisco pour cause de fièvre typhoïde, Segalen en avait profité pour perfectionner ses connaissances odontologiques : « Mon attirail de dentisterie ne chôme pas ; jusqu'à présent mes honoraires en la matière n'ont guère été payés qu'en...Nature, par mes plus jolies clientes...ça me rappelle les Faits Divers d'antan : le dentiste violant sa patiente sur le fauteuil mécanique. Il est vrai que je n'ai pas de fauteuil et que le viol est forcément ici inconnu. »