Aimé CESAIRE
Et les chiens se taisaient
Présence africaine, Paris 1956, 12x18,5cm, broché.
Édition originale pour laquelle il n'a pas été tiré de grands papiers.
Bel exemplaire parfaitement établi.
Reliure en demi box ardoise, dos lisse, tête dorée, couvertures et dos insolés conservés, dos bruni comportant des restaurations, plats partiellement insolés et deuxième plat comportant une pliure, reliure signée Boichot.
Précieux et très bel envoi autographe signé d'Aimé Césaire : « à Jean-Paul Sartre dont l'étude sur la "négritude" a puissamment contribué à éclairer la route. Avec amitié et admiration. A. Césaire. 11 Oct. 1956. » La célèbre préface de Jean-Paul Sartre, « Orphée noir », écrite à la demande de Senghor pour son
Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue français en 1948, produisit un séisme parmi les intellectuels et contribua à transformer le concept de « négritude », revendication politique et poétique apparue entre les deux guerres et conduite par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor.
Jusqu'à lors, seule la langue poétique réussit à formaliser le conflit sémantique intrinsèque à ce substantif emprunté au champ lexical de l'oppresseur. Entre la nécessaire revendication identitaire et une contribution involontaire à l'essentialisation raciale, la « négritude » trouvera sous la plume de Sartre une légitimité philosophique conciliant identité et universalité : « L'affirmation théorique et pratique de la suprématie du blanc est la thèse ; la position de la Négritude comme valeur antithétique est le moment de la négativité. Mais ce moment négatif n'a pas de suffisance par lui-même et les Noirs qui en usent le savent fort bien ; ils savent qu'il vise à préparer la synthèse ou réalisation de l'humain dans une société sans races. Ainsi la Négritude est pour se détruire, elle est passage et non aboutissement, moyen et non fin dernière. Dans le moment que les Orphées noirs embrassent le plus étroitement cette Eurydice, ils sentent qu'elle s'évanouit entre leurs bras. »
C'est d'ailleurs essentiellement portée par la poésie d'Aimé Césaire que se construit la thèse sartrienne : « Ainsi le mot de noir se trouve contenir à la fois tout le Mal et tout le Bien, il recouvre une tension presque insoutenable entre deux classifications contradictoires : la hiérarchie solaire et la hiérarchie raciale. Il y gagne une poésie extraordinaire comme ces objets auto-destructifs qui sortent des mains de Duchamp et des Surréalistes ; il y a une noirceur secrète du blanc, une blancheur secrète du noir, un papillotement figé d'être et de non-être qui nulle part, peut-être, ne s'est traduit si heureusement que dans ce poème de Césaire : « Ma grande statue blessée une pierre au front ma grande chair inattentive de jour à grains sans pitié ma grande chair de nuit à grain de jour ... » Le poète ira plus loin encore ; il écrit : « Nos faces belles comme le vrai pouvoir opératoire de la négation. »
Cette sublime dédicace de Césaire à Sartre, bien plus qu'un simple remerciement, est le poignant témoignage par deux de ses principaux acteurs du deuxième temps fort de la lutte pour l'égalité des peuples, après l'abolition de l'esclavage et avant la fin de la décolonisation.